Arrache-toi

Collages de Philippe Pons : les îles à la dérive

ARRACHE - TOI !!!

Arrachage Venise, octobre 2017
Arrachage Venise, octobre 2017

Ça commence comme une flânerie légère
tes pas qui te portent à travers la ville
dessinant un territoire
d’invisibles traces
inventant une topographie
Ça commence par
marquer physiquement
frapper la terre le bitume
arpenter faire le tour presser le dédale de tes plantes de pieds
c’est dans le corps que ça se passe, dans ton corps,
tes pieds
et puis
l’œil
s’approche
capture des formes des couleurs des textures
transmet le message.

Détail d'un mur, Venise 2017
Détail d’un mur, Venise 2017

Au début c’est léger
et puis
ça descend ça fait le chemin ça s’imprègne
alors

ta main, tes doigts, l’extrémité de ton ongle
en partant du bord
soulève
un peu juste un peu
ça colle ça adhère
tu insistes
tu utilises tout l’ongle
tu grattes
ça attache ça ne veut pas
tu ne lâches pas tu grattes encore
tu ouvres une brèche fine
tu l’écartes
Avec le bout de ton ongle,
ça vient
alors

Arrachage Venise, 2017
Arrachage Venise, 2017

tu t’y mets tout entier
de tout ton corps
de toute ta force
jusqu’au cou,
tu déchires.

Dessous
autre chose
des taches des résidus des morceaux.
Tu respires un grand coup.
Sur le mur
autre chose
Dans tes mains autre chose

et demain
tu reconstitueras l’île
ton île.

Cati Roman

Les îles à la dérive

C’est en 1982, alors jeune étudiant aux Beaux-Arts de Toulouse, que je m’initie à la pratique du Collage grand format.

J’arrache alors de grands blocs d’affiches accumulées sur les murs de la ville, puis dans l’atelier de l’école, je les recouvre complètement d’une couche de peinture tourbillonnante qui, à la façon de la gestuelle de Van Gogh, semble inonder ce support trivial d’une lumière nouvelle….

Ces touches juxtaposées en virgules larges masquent une réalité pour moi trop informative.

Une fois ce travail réalisé, je déchire en lambeaux la couche de peinture laissant apparaitre cette fois les lettres et les fragments d’images ressurgis d’un passé lointain.

Je réinstalle ensuite le bloc ainsi retravaillé dans la rue, sur d’anciens panneaux d’affichage et après l’avoir recollé sur place, je le taggue à la bombe de slogans vindicatifs.

Aujourd’hui, 35 ans plus tard, je confectionne à nouveau le même genre de collages, que j’ai baptisés les “îles à la dérive”.

Ce qui a vraiment changé dans ma démarche, c’est la quête d’images beaucoup plus diversifiées (j’arrache des lambeaux d’affiches aux quatre coins de la planète).

Mon idée est de matérialiser une sorte de langage universel fait d’un brassage de plusieurs langues, qui représente pour moi ce que nous vivons au quotidien, c’est-à-dire la confrontation brutale de divers univers hétéroclites.
Aujourd’hui, ces affiches collectées au cours de mes voyages sont retravaillées dans mon atelier de Peyzac le Moustier. J’imagine, après cette récolte, un dialogue entre lettrisme et peinture, savant mélange de poésie et d’expressions plastiques.
Ces créations, cartes imaginaires ou îles d’un autre monde, fruits du jeu entre signes et coulures, grands aplats et fines couches de cartons, donnent l’aspect d’un territoire composé de multiples aspérités et couches géologiques se superposant.

A la façon d’une dérive des continents, ces icebergs d’un nouveau genre, flottent, solitaires, isolés dans un espace sans limites, fracturés et blessés ; ils sont des orphelins de la Pangée qui les a vus naître…

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